Sur 49 000 cas de cancer du sein diagnostiqués chaque année, près de 20 000 nécessitent une ablation. Pour retrouver leur féminité, des femmes se tournent vers le recouvrement de cicatrices par le tatouage. Rencontre avec une tatoueuse spécialisée.
C’est dans son atelier discrètement niché au fond d’une jolie cour arborée du 11e arrondissement de Paris que Patricia, maquilleuse professionnelle devenue artiste tatoueuse, crée les dessins sur mesure qui habilleront bientôt le corps de ses clients et de ses clientes. Avec le tatouage, j’ai découvert « ce qui allait être mon support, mon papier, ma toile », explique Taratatou, de son nom de tatoueuse. Il y a une dizaine d’années, elle est confrontée pour la première fois au cas d’une cliente qui a subi une mastectomie, ou ablation du sein, suite à un cancer.
« Bien sûr, on est touché au plus profond de soi quand une femme vient nous voir, qu’elle nous raconte son parcours, tout ce qu’elle a subi. On a envie de faire quelque chose. » Patricia, tatoueuse spécialisée à franceinfo
Très vite, Patricia se spécialise dans le recouvrement de cicatrices. De plus en plus de femmes ayant eu recours à une reconstruction mammaire passent alors la porte de l’atelier. La plus jeune des clientes de Taratatou a la trentaine, la plus âgée approche les 80 ans. « Je crois que son mari n’était pas trop d’accord pour qu’elle fasse un tatouage, confie la taoueuse, amusée. Elle en avait très envie, elle l’a fait et elle est très contente. »
Souvent, les femmes qui viennent voir Patricia après une mastectomie n’avaient jusqu’ici jamais envisagé de se faire tatouer. Aujourd’hui, ce sont certains oncologues eux-mêmes qui orientent les femmes vers le tatouage, constate la tatoueuse, ce qui n’étaient pas le cas quand elle a commencé. « Ce n’était pas du tout conseillé par l’encadrement médical, ni par les psychologues », se souvient-elle. Il faut dire qu’en fonction du type de reconstruction, les cicatrices sont plus ou moins importantes. Si le sein est remplacé par une prothèse, la cicatrice peut être fine. Mais s’il s’agit d’une reconstruction par lambeau dorsal, [une autogreffe d’une partie de muscle], elle barre non seulement le sein mais aussi la moitié du dos. « Alors oui, on a reconstruit un sein, mais le sein n’est pas montrable », explique Patricia.
Pour certaines femmes, la gestion du cancer s’est bien passée. Mais « pour beaucoup, ça a été une catastrophe ». Certaines des clientes de Patricia « regrettent même de s’être fait reconstruire », les greffes qui ne prennent pas, les douleurs, la multiplication des interventions… « Tout le monde ne cicatrise pas bien, explique Patricia. Ce n’est pas forcément de la faute du chirurgien, il y a des gens qui font des cheloïdes, souvent les peaux noires et métisses, parfois la cicatrice s’est étirée, s’est élargie, ce n’est pas joli. La seule solution, c’est le tatouage ou la reprise de la cicatrice, mais ce n’est pas garanti à 100%. Et puis souvent, quand on s’est fait opérer plusieurs fois, on a envie que ça s’arrête. C’est quand même un parcours du combattant. On n’en parle pas beaucoup de ça. Se reconstruire prend du temps. C’est beaucoup d’interventions (…) Il y a malheureusement toujours une cicatrice et les femmes ne veulent plus la voir. »
Changer de regard sur soi
Quand elles viennent à l’atelier, ces femmes n’ont pas forcément une idée précise de leur tatouage. Ce qu’elles veulent, c’est que leur corps mutilé redevienne joli à regarder. Le premier rendez-vous sert à instaurer une « confiance mutuelle », explique Patricia. « Il y a déjà ce premier passage où il va falloir qu’elles se dénudent, qu’elles me montrent leurs cicatrices. Je vais les prendre en photo. On parle pendant des heures. Des fois, elles viennent sans aucune idée de dessin. Je leur montre ce que j’ai déjà fait. Je leur montre aussi des photos de femmes qui ont déjà été tatouées. Ensuite, je vais dessiner le projet puis leur envoyer les dessins. »
« Je dis souvent que je travaille un peu comme une couturière. Je fabrique un nouveau costume. » Patricia à franceinfo
Pour aider ses clientes à se projeter, Patricia réalise un stencil qu’elle positionne à la place qu’occupera le tatouage. « Rien n’est jamais figé. Je vais poser les éléments mais je peux en rajouter. Tout est transformable, raconte-t-elle. Pour moi, le corps est une toile formidable parce que c’est une toile vivante. Ce n’est pas une toile qui va rester accrochée à un mur et qui va être vue par une petite quantité de gens. C’est une toile qui va être vue par plein de gens. Et j’adore cette idée que finalement, toutes mes œuvres, toutes mes toiles, vont être exposées l’été en maillot de bain. Je trouve ça très gratifiant, même si, quelque part, c’est difficile parce qu’on est quand même souvent sur une corde raide. On se doit de réussir ce qu’on fait, c’est un devoir même de pouvoir réussir le projet dans lequel on s’est engagé. »
Patricia avoue être parfois « étonnée de ce qu’on peut réaliser, parce que lorsqu’on a des personnes qui arrivent avec vraiment des cicatrices profondes, avec des chéloïdes, des creux, des bosses, il faut extrapoler », explique-t-elle. Sa récompense, c’est le changement de regard de ces femmes sur elles-mêmes.
« Après les séances, je vois bien qu’elles se regardent avec un regard totalement transformé. Je les vois sourire. » Patricia à franceinfo
C’est chouette de pouvoir enfin se regarder dans le miroir, pas avec une cicatrice en travers, mais avec un joli sein. Il a son nouvel habit qui le magnifie et on se regarde avec plaisir. Les femmes me disent qu’elles posent enfin sur elles un regard heureux, joyeux, et qu’elles vont oser se montrer dans l’intimité. Parce que j’en ai beaucoup qui n’osent plus se montrer à leur partenaire ou à un nouveau partenaire. À la fin, on s’embrasse, sourit Patricia. Des fois même on rit de joie ou on pleure d’émotion. C’est très fort. »
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